1945-2015 : Une brève histoire de la psychologie à l’école

Par Le 16/10/2017 0

1945-2015 : Une brève histoire de la psychologie à l’école en France

Jean-Claude Guillemard. psychologue, Dr en Sciences de l’Education, représentant permanent  de l’ISPA auprès de l’UNESCO.

 

 Préhistoire de la profession :

I. Le temps des pionniers :

II. Bernard Andrey « poisson pilote » d’Henri Wallon pour la mise en œuvre de la psychologie scolaire.

III. L’intérêt de la psychologie à l’école et le rôle des psychologues.

IV. La période  1960-1970 :  Le temps du dépistage.

1945-2015 : Une brève histoire de la psychologie à l’école en France

Jean-Claude Guillemard. psychologue, Dr en Sciences de l’Education, représentant permanent  de l’ISPA auprès de l’UNESCO.

 

 Préhistoire de la profession :

Notre profession de psychologue  dans l’école n’est pas très ancienne :  à peine plus d’un siècle.  A la fin du 19e siècle aux USA, Lightner Wittmer[1] ouvre une consultation de psychologie de l’écolier à l’Université de Pensylvanie .Cette consultation, ancêtre des centres de guidance infantile, s’adresse spécifiquement aux enfants rencontrant des difficultés d’apprentissage et/ou présentant des troubles du comportement à l’école.

C’est aussi ce constat que certains enfants n’entrent pas dans les normes scolaires qui conduit Binet (France 1905) avec Simon dans le laboratoire de l’école primaire rue de la Grange aux Belles (Paris 13e) à fabriquer l’échelle métrique de l’intelligence fondée sur le concept d’âge mental. Binet est le grand père de la psychologie scolaire et le test d’intelligence fait partie du « patrimoine génétique des psychologues scolaires ».

Allemagne, 1911. Stern invente le quotient intellectuel ( QI = âge mental/âge réel). Il est aussi le premier à utiliser, dans un article traduit et publié aux USA, le terme de psychologue scolaire (schule psychologe).

La   méthode des tests développée pendant la première guerre mondiale  notamment dans l’armée américaine pour la sélection des combattants puis pour la sélection  des travailleurs de l’industrie s’est répandue dans de nombreux domaines de la vie sociale dont l’éducation.  D’autres influences se sont fait sentir entre les deux guerres mondiales : Orientation Professionnelle (1920), psychanalyse, pédo-psychiatrie, pédagogies nouvelles.

I. Le temps des pionniers :

En 1944, le Conseil National de la Résistance(CNR) considère que c’est par  l’éducation qu’on évitera le retour des horreurs qui ont marqué  le 20e siècle . André Capitant, Ministre de l’Education Nationale dans le gouvernement provisoire du Général De Gaulle, constitue une commission ministérielle chargée  de préparer la réforme démocratique de l’enseignement.  Deux intellectuels, le médecin et psychologue Henri Wallon et le physicien Paul Langevin  (qui décèdera en 1946) animent cette commission. Ces deux intellectuels marxistes s’intéressent depuis longtemps aux pédagogies nouvelles : Dewey (USA), Decroly (Belgique), Montessori (Italie), Claparède (Suisse) influencent leurs idées sur la transformation  nécessaire de l’ enseignement français. Ils sont tous les deux investis dans le groupe Français d’Education Nouvelle (GFEN) qu’ils présideront successivement. Wallon a participé à un groupe de travail à l’initiative du ministre Jean-Zay pour la  mise en place des « classes nouvelles ». Pour Wallon l’éducation et la pédagogie sont indissociables de la connaissance du développement de l’enfant. Et c’est cette idée force qui le conduit - en tenant compte de ce qui existe déjà  à l’étranger (en Suisse par exemple)- à concevoir un corps de psychologues exerçant dans l’école au plus près des enseignants .

Dès 1945, Henri Wallon expérimente son projet de création  d’un corps de psychologues scolaires « avant-garde » de la réforme démocratique de l’enseignement allant de pair avec la formation des maitres.

II.Bernard Andrey « poisson pilote » d’Henri Wallon pour la mise en œuvre de la psychologie scolaire.

On peut se demander pourquoi ce jeune instituteur  de Seine et Oise  va se retrouver à être nommé à Grenoble premier psychologue scolaire de France ? Ce serait oublier le contexte de l’époque où les protagonistes de l’histoire en marche se sont connus au sein de réseaux de résistance dans la clandestinité. Réseaux communistes et réseaux gaullistes comptaient les effectifs les plus nombreux et les relations de fraternité et de solidarité entre leurs membres se sont prolongées après la guerre en continuité avec leurs activités politiques, syndicales, culturelles. Le département de l’Isère fut un foyer important de la résistance (Maquis du Vercors). 

Bernard Andrey rendait compte régulièrement de son expérience à Wallon. Ces observations servaient  d’appui à la formation des futurs psychologues scolaires.  C’est  en pensant à l’organisation prochaine d’une école démocratique que fut formée en 1946 la première équipe d’instituteurs (de classes primaires et de cours complémentaires) du département de la Seine qui constitua le noyau de la psychologie scolaire en France. C’est grâce à cette équipe avec laquelle il était en relation étroite, directement et par l’intermédiaire de ses collaborateurs  Hélène Gratiot-Alphandéry et René Zazzo, qu’Henri Wallon put préciser  sa conception de la psychologie scolaire ainsi  liée à une pratique sur le terrain.[2]

 Le Plan dit Langevin-Wallon est présenté en 1947. Le ministre de l’Education Nationale, Naegelen (socialiste) remercie la commission pour son travail remarquable, souligne que ce projet pourrait servir dans bien des pays mais il ajoute que le temps n’est pas venu de son application.

Là encore on ne peut comprendre l’étouffement du projet et la situation paradoxale de la psychologie à l’école (jusqu’à nos jours) sans tenir compte du contexte politique.. En 1947, les ministres communistes (nommés par le Général de Gaulle et le Gouvernement provisoire) ont été débarqués par le Président du Conseil Paul Ramadier. La « guerre froide »  entre les USA et l’Union Soviétique et leurs alliés s’est installée. Le mouvement syndical est touché et l’unité créée dans la Résistance à l’occupant nazi s’est effritée. Scission de la CGT et création de  FO. Les enseignants refusent la scission et créent la Fédération autonome de l’Education Nationale (FEN qui valide le principe des tendances) et dont est membre le Syndicat National des Instituteurs (SNI) auquel ont adhéré les « ex-Cégétistes ». Pour autant, les pionniers de la psychologie à l’école continuent leur tâche selon les principes élaborés par Henri Wallon et ses collaborateurs .


III.L’intérêt de la psychologie à l’école et le rôle des psychologues.

Selon Wallon, pour que la réforme démocratique de l’enseignement réussisse, le psychologue scolaire devait favoriser la mise en œuvre d’une pédagogie nouvelle. Pour cela il faut connaitre l’enfant et découvrir « les causes intellectuelles, caractérielles et sociales de son comportements scolaire ». Mais il mettait en garde contre deux dangers : 

« une sélection qui refuserait à certains enfants et même au plus grand nombre, les possibilités de culture qui doivent être mises au service de tous ».[3]et

«  L’enregistrement stérile de « situations que leur simple constatation fait alors tenir pour définitivement établies, nécessaires inévitables. » [4]

Cette conception définit  une identité professionnelle du psychologue en faisant de lui un « auxiliaire du pédagogue » et en  lui donnant vocation d’améliorer la pratique pédagogique dans son acception la plus large, c'est-à-dire, non seulement sous l’angle de la relation maître-élève favorisée par une meilleure connaissance de l’enfant, mais également sous l’angle de la recherche psycho-pédagogique.

Cette fonction de chercheur du psychologue apparait nettement dans les premières productions du groupe parisien (Bulletin des Psychologues Scolaires) où sont présentées des analyses de matières d’enseignement, des descriptions de facteurs favorables à l’assimilation d’une discipline, ou au développement de certaines aptitudes et à la révélation des intérêts des enfants. Ces collectes de donnée donnant lieu à des propositions de méthodes ou de techniques susceptibles d’aider les élèves à surmonter leurs éventuelles difficultés spécifiques ou à développer des compétences particulières  dans divers domaines .

Dans l’étude particulière des individus, la mission du psychologue consiste à rechercher «  ce qui peut entraver  ou favoriser leur cheminement heureux vers l’âge adulte »

Mais  si le psychologue doit s’employer à trouver des « moyens susceptibles de promouvoir cette croissance par un travail adapté à leur fonctions mentale », il doit aussi organiser le milieu.

On le voit la mission d’observation clinique n’est pas seulement  à visée psycho-pédagogique, elle est aussi à visée psycho-sociale ce qu’on a parfois résumé par la formule : « adaptation de l’enfant à l’école et adaptation de l’école à l’enfant »,

Le contexte de l’époque écarte Henri Wallon de la vie politique, le projet de réforme démocratique de l’enseignement est classé mais la psychologie scolaire, privée de ce qui lui donnait tout son sens, poursuit néanmoins sa marche en avant.

En 1948, des professeurs de l’enseignement secondaire reçoivent une formation de psychologue et sont nommés dans des lycées parisiens (Louis le Grand, Chaptal, Jacques Decour…). Dès 1949 un premier congrès des psychologues de l’Education Nationale  est organisé à Sèvres et un second à Grenoble en 1950. Un Comité Inter- directions  est créé au Ministère de l’Education Nationale et produit un texte définissant en 7 points les fonctions de la psychologie scolaire (1951). Les propositions françaises sont retenues par l’UNESCO pour une définition internationale du rôle du psychologue dans l’école et deux colloques internationaux sont organisés à Hambourg en 1952 et 1954.

Au moment où les développements nationaux et internationaux semblaient devoir ouvrir à la psychologie scolaire un bel avenir en France un coup d’arrêt brutal fut donné à la profession. En 1954, le recrutement et la formation sont  interrompus et les psychologues scolaires en fonction dans le département de la Seine[5] (26 au total) sont invités à reprendre leurs postes d’instituteurs au motif que la France avait besoin de tous ses instituteurs.[6]  Ce sera le premier épisode illustrant publiquement l’ambigüité de la profession et posant clairement la question de l’identité et du statut.

Supprimée de l’enseignement élémentaire (en même temps que la formation), mais maintenue dans les lycées, la psychologie persista en province (avec un nombre très réduit de représentants). Elle se déplaça également dans les Centres Psycho- Pédagogique où certains psychologues purent se recycler au lieu de reprendre une classe[7]. Ce reclassement conduisit ces psychologues (sous l’influence desthéories psychanalytiques) à s’orienter vers une pratique d’analyse des difficultés scolaires comme symptômes. d’une souffrance psychique. Le développement de la pédopsychiatrie contribua également à influencer ces pratiques des psychologues vers une cliqnique psychopathologique  en même temps qu’elle multipliait le nombre des troubles scolaires notamment avec la définition de nouvelles « maladies du siècle » dont la dyslexie (Mucchielli). Cette vision du métier (analyse clinique de la souffrance psychique individuelle) reste toujours très présente et, pour nombre de psychologues, la seule qui les définisse vraiment.

IV. La période  1960-1970 :  Le temps du dépistage :

Dans un contexte de psychiatrisation des difficultés scolaires, en 1958, le Ministère de l’Education Nationale (Sous Direction de l’Enfance Inadaptée) décide de reprendre la formation des psychologues dans quatre centres universitaires (Paris, Besançon, Bordeaux et Grenoble) afin de répondre aux besoins d’identification des élèves «débiles légers et moyens » relevant des classes de perfectionnement[8].

Pour formaliser cette conception des missions du psychologue, le ministère prépare une circulaire (circulaire Lebettre,1960). Le statut du psychologue scolaire y est défini comme suit : « Le maître psychologue scolaire est attaché en principe à une circonscription scolaire comptant 700 à 800 élèves. » et ses fonctions sont précisées, « Ainsi le psychologue scolaire est appelé à jouer un rôle essentiel dans le dépistage des enfants inadaptés. Il apporte son concours à la Commission médico-pédagogique selon les termes de la Circulaire du 22 avril 1958 ».  Cependant une mission reste de la conception wallonienne : « Enfin le psychologue scolaire est un pédagogue que ses études ont plus particulièrement orienté vers les recherches pédagogiques »

Cette circulaire n’a jamais été publiée au BOEN, mais le statut d’enseignant du psychologue est intégré par l’employeur (et à cette époque par une majorité des psychologues) Le travail  de dépistage des enfants inadaptés (débiles et caractériels) est bien admis par les enseignants. Par contre les psychologues eux-mêmes ou du moins une partie d’entre eux, contestent ce rôle[9] et revendiquent une pratique davantage centrée sur une observation clinique individuelle et une recherche de solutions susceptibles de limiter l’orientation en classe spéciale. Le concept de prévention commence à prendre une dimension importante dans la définition que se donnent les psychologues de leur  métier.                                

 

[1] disciple de Stanley Hall initiateur  en 1895 d’ une « psychologie clinique de l’écolier »,  

[2] Plan Langevin-Wallon : titre IV.

[3] Henri Wallon : Pourquoi des psychologues scolaires ? Enfance n°5. Nov.Déc.- 1952.

[4] Ibid.

[5] correspondant  actuellement à Paris + départements 92,93,94

[6] en raison du baby boom d’après guerre.

[7] Le premier Centre Psycho Pédagogique créé au Lycée Claude Bernard est également dû à une initiative d’Henri Wallon en 1945

[8] Les maîtres de ces classes virent leur diplôme de spécialisation, le Certificat d’Aptitude à l’Enseignement des Enfants Arrièrés (CAEA)  transformé  en CAEI (Certificat d’Aptitude à l’Enseignement des Enfants Inadaptés).

 

[9] La caricature de l’Homme à la valise sortant son chronomètre pour passer des test à la chaine se répand à cette époque . La période post- soixante huit qui verra la contestation de tous les repères et les normes antérieures sera un moment d’intense réflexion critique pour les psychologues dont l’image « d’agent objectif de la  reproduction sociale » devient lourde à porter. Cf Michel Tort : Le QI et JC Guillemard : Le psychologue scolaire peut il faire autre chose que des QI ? in Petite Enance . N°3 Avril-mai 1976.  Voir aussi  Baudelot et Establet : L’école capitaliste en France.

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